Parler à Dieu, c’est ce qu’Indy a toujours fait. Les reliques des rois humains, des guerres du passé, il en a rien à secouer. Indy est un archéologue de l’au-delà, du métaphysique. Quels que soient les artefacts en jeu, il s’agit toujours de clefs vers l’absolu : pouvoir divin, vie éternelle, connaissance totale… J’ai failli verser une larme en redécouvrant l’immense hangar aux milliers de caisses scellées, autant de trésors restés indéchiffrés… Je pense toujours au même hangar plein de caisses de Citizen Kane, l’une des caisses d’Indiana Jones renferme probablement aussi son « Rosebud », le sens de la vie.
Il s’agit toujours de voir l’invisible, ou peut-être de croire qu’on peut révéler l’invisible. C’est cette croyance qui rend Indiana Jones si fascinant, si séduisant, mieux qu’un super-héros : ce n’est pas quelqu’un qui se dérange pour quelques breloques en or ou de vieux parchemins. Quand le professeur sort son pinceau à relique, c’est le cosmos qui est en jeu. A une autre époque, il aurait sûrement été astrophysicien.
D’ailleurs c’est parfaitement logique si ce quatrième épisode commence avec l’atome et finit avec un portail dimensionnel.
Indy a grandi, il a fini de chercher Papa ou Dieu, ou les deux. L’époque a changé, fini l’ésotérisme nazi, c’est l’heure du duel pour la conquête de l’espace.
Le ciel est toujours plein d’énigmes, mais plus celui de la Bible. Qu’importe, Jones relève le défi. La série était vouée à devenir SF, ça lui va comme un gant ! Les anges ou les aliens, c’est pareil, ils parlent tous par énigmes, et c’est un langage qu’il comprend. Ils ont tous à offrir un pouvoir sans limites de destruction et de dérèglement de l’univers, et Jones est là pour l’empêcher. Entre deux heures de cours.
Car c’est ça aussi qui le caractérise : Indy est celui qui détourne le regard et qui renonce. Le pouvoir de l’Arche ou du Graal, le savoir des aliens de cristal, il n’en veut pas, il sait que ces secrets sont mortels. Indy c’était la pureté, comme Tintin (un autre sex symbol, si si). Et pourtant… dans ce dernier épisode, le voilà du côté du mal. Il appartient à une nation qui a créé et utilisé la bombe atomique. Ça ne pouvait pas être passé sous silence. Je crois que la séquence du frigo restera une de mes préférées tous films confondus, peut-être même au-delà de la série Indiana Jones, quelques minutes de pur chef d’œuvre. Evidemment pour son potentiel comique, mais pas seulement. Ce village factice, ces mannequins fifties souriants et trop parfaits, ces scènes de bonheur made in USA, avec tout le confort moderne, parmi lesquels Indy cherche en vain de l’aide… Humanité publicitaire et théorique, en même temps que matière première de carnages programmés. Toute cette perfection vouée au néant, c’est beau comme du Bradbury. Je repense à ce passage des Chroniques martiennes, cette ville désertée par les humains, animée seulement par les grille-pains, lave-vaisselles et autres automates d’un quotidien éternel. Tout y est si net, si bien réglé, et pourtant il ne reste plus des humains que des ombres carbonisées.
Trop de perfection, trop de savoir, trop de pouvoir mène à la destruction, c’est ce que nous répète Indy. Enfermé dans son frigo volant, il en réchappe, témoin une fois de plus du désir de pouvoir de ses congénères. D’habitude les méchants meurent pour avoir voulu ce pouvoir trop grand pour eux, en sera-t-il de même pour la bombe ?…
Indy, lui, reste toujours sur le seuil, il ferme les yeux ou détourne la tête, il est seulement témoin, jamais élu. Avec son frigo anti-atomique, il atteint des sommets de dérisoire, j’adore… C’est peut-être là (entre autres) que Lara Croft ne pourra jamais l’égaler, puisqu’on nous l’a vendue au contraire comme « celle qui », une élue, une héritière… Et puis Lara, c’est la perfection du corps, de la chorégraphie, c’est la puissance faite femme. Indy, malgré sa capacité surnaturelle à encaisser les coups, n’a rien de la force brute. Il est l’intelligence, la science, l’éthique. Il est aussi, et peut-être avant tout, un joueur. Indy, le pari permanent. Il tente des coups de poker complètement absurdes, et plus ça a l’air dingue, plus ça marche. Courir plus vite qu’une boule de pierre qui déboule dans un couloir, tomber de trois chutes d’eau vertigineuses sans mourir… La vie est un jeu, et son héros so sexy !
Pas une statue de plâtre comme un James Bond, non…
Bond n’aime personne, il flatte son ego avec des conquêtes de pacotille. Indy, lui, est fait de chair et de sang, il sait aimer, il sait reconnaître celle qu’il aime… après tout. La scène finale du mariage aurait pu tout gâcher, je trouve au contraire qu’elle donne toute sa dimension au personnage. Il ne vit pas dans un éternel présent comme les super-héros, il a une temporalité. Il vieillit, il
évolue. Il aime. Un héros qui ne se la joue pas lonesome cowboy, ça c’est rare ! Il est émouvant parce qu’il a sa fragilité (ah, la scène des bisous qui font ouille dans l’Arche… ^^ ), et parce qu’il ne méprise pas les femmes, comme tant d’autres aventuriers. Il est au-dessus de ça, il n’a pas besoin de jouer les vieux loups solitaires pour prouver sa virilité. Indy, le pur héros moderne ! Et puis Marion, je suis fan depuis son apparition au Népal, elle méritait bien ça. ;)