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Article initialement publié sur Merlanfrit.net
Un autre court billet qui faisait partie du calendrier de l’avent de Merlanfrit. Petit hommage à ce qui fut l’une de mes plus marquantes expériences de MMORPG.
L’un des problèmes de design des MMORPG, c’est la façon de gérer le désir de chaque joueur d’être le héros. Dans les jeux solos, pas de problème pour être l’élu salué par tous les passants. Dans un jeu massivement multijoueur, il faut partager cette gloire. Certains jeux trichent, les personnages non-joueurs font le tapin et font en sorte que chaque client se « sente spécial ». D’autres ont l’audace de proposer au joueur le rôle d’un quidam que personne n’attend.
C’était le cas de Star Wars Galaxies, sorti en 2003. Pourtant le défi était d’autant plus grand que le jeu se référait à un film culte : tout le monde voulait être Luke Skywalker. Tout le monde voulait être Jedi. Ou bien tout le monde voulait être Han Solo.
Le jeu se situait entre les épisodes IV et V : l’ordre des Jedis était anéanti, la Rébellion encore faible. SWG ne proposait pas Jedi comme classe de personnage. Il fallait d’abord développer un personnage « basique », le faire devenir progressivement sensible à la Force, ce qui était très long, avant de pouvoir enfin jouer un personnage Jedi. Les premiers joueurs à y parvenir avaient leur heure de gloire. Le jeu dans son ensemble proposait avant tout de faire vivre le monde, en donnant vie au commerce et aux relations sociales : il y avait par exemple des métiers de danseurs, de stylistes, de cuisiniers ou de fabricants de droïdes. La particularité de SWG était de donner la possibilité de jouer des personnages entièrement non-combattants. C’était viable et c’était fun, malgré le lot de problèmes qu’on peut imaginer. Devenir Jedi était une quête de longue haleine, un sacerdoce secret.
Et puis vint le New Game Enhancements (NGE). Je ne sais quel obscur marketeux décida que si les joueurs voulaient tous être Jedis, eh bien il fallait leur donner ce qu’ils voulaient. Le design du jeu fut entièrement refondu au bull-dozer : métiers, classes, combat, accession au statut de Jedi dès le début du jeu. Les Jedis-kékés se mirent à pulluler dans les rues, et à brandir fièrement leurs sabres-lasers alors que l’ordre était censé rester clandestin. C’était le début du compte à rebours vers la mort certaine de SWG, qui connut une chute catastrophique du nombre d’abonnés presque du jour au lendemain.
Les serveurs du jeu viennent officiellement de fermer le 15 décembre 2011. Un autre MMO validé par Lucas vient prendre sa place : Star Wars : The Old Republic, sorti ce 20 décembre. Parmi les classes proposées dès le début du jeu, un quart sont des Jedis (Jedi Knight, Jedi Consular), un autre quart sont des Siths (Sith Warrior, Sith Inquisitor). Autant dire que potentiellement la moitié des joueurs se baladent en agitant des sabres-lasers. Et pourtant chaque PNJ vous accueille comme si vous étiez le seul, et le sauveur attitré de la galaxie.
Star Wars : The Old Republic, le retour du lèche-botte.
Article initialement publié sur Merlanfrit.net
Un court billet qui faisait partie du calendrier de l’avent de Merlanfrit. On a tendance à moins considérer les jeux sur portables quand on pense aux GOTY, mais Ghost Trick est incontestablement l’un de mes « jeux de l’année » 2011.
Je suis mort.
Je suis mort mais c’est pas grave. Parce que je ne me souviens plus de ma vie passée. Je ne sais plus qui j’étais, les morts perdent la mémoire. Je crois juste que j’avais une veste rouge qui claque bien, et une coupe blonde hirsute. Et des lunettes noires. En tout cas c’est comme ça que je me vois. Je sais aussi qu’on m’a tué. Mais je ne sais pas qui ni pourquoi. Est-ce que je l’avais mérité ?
Il fait nuit. Mon cadavre est effondré au sol. Quand le jour se lèvera, mon esprit disparaîtra pour toujours. Dans quelques heures je n’existerai plus du tout. Je ne regrette pas la vie parce que j’ai oublié ce que c’est d’être vivant. Mais quand même… j’aimerais bien savoir, avant de partir.
Ironie du sort, j’ai hérité des pouvoirs des fantômes, les « ghost tricks » : je peux empêcher les autres de mourir, en revenant dans le temps pour changer leur destin. Mais je ne peux pas revoir ma propre mort, ni la changer.
Je peux ressusciter ce condamné à mort exécuté au fond d’une prison, je peux épargner ce ministre à l’air soucieux, je peux faire mourir ceux qui me gênent. Pendant quelques heures de nuit noire, la justice humaine n’a plus cours, c’est moi qui décide.
Pendant que chaque seconde me rapproche de la fin, j’occupe mon esprit, je me démène. De toutes mes forces de poltergeist, je secoue les rideaux, je fais tomber les livres des étagères ou sonner le téléphone, je regarde le monde depuis l’envers du décor en espérant comprendre ce qui se passe sur scène. Moi que plus personne n’entend ni ne voit, sauf les morts de passage.
Mais à force de retourner le monde dans ses moindres recoins et de ressusciter cette jolie rousse qui n’en finit pas de se faire tuer, je crois que je commence à me souvenir de ce que c’était, la vie. Je crois que c’était bien et que j’aimais ça. Je crois que je ne veux pas mourir.
Plus qu’une heure avant l’aube.
L’association Non Violence 21 organise depuis quelques années des journées de réflexion et de sensibilisation à l’intention des étudiants de l’école Supinfogame, et cette année j’ai eu le plaisir d’être invitée à y contribuer en tant que game designer. La démarche est originale puisque contrairement à certaines polémiques un peu fatiguées, elle ne part pas du principe simpliste que le jeu vidéo rendrait violent par exposition à des images violentes. Au contraire les membres de l’association envisagent le jeu avec bienveillance, comme un moyen d’expression puissant permettant de véhiculer toutes sortes de messages. La violence est une donnée de notre monde, et leur volonté n’est pas du tout de censurer ce fait ou de le refuser. En revanche, ils essaient de promouvoir d’autres moyens de résoudre les conflits et de changer le monde, par l’action non-violente. Cela va de la bonne attitude face à un enfant agressif ou à du harcèlement moral, jusqu’à des actions revendicatives de grande ampleur façon Gandhi… Et cela commence par l’identification de différentes formes de violence : physique, psychologique, morale… La violence est perçue différemment par chacun. C’est un sujet très vaste que je n’aborderai pas ici faute de compétence, mais que je trouve très intéressant.
Quel est le rapport avec le jeu vidéo alors ? Eh bien, si on généralise un peu, il faut bien admettre que le jeu vidéo ne propose le plus souvent que la solution de la violence pour régler une situation de conflit, qu’il s’agisse de guerre, d’assassinat ou d’aventure. L’essentiel du gameplay repose principalement sur le fait de tuer l’ennemi et de survivre : pas de place pour la négociation ou quoi que ce soit d’autre.
Le discours de l’association ici n’était pas « moral », mais plutôt pratique : et si le jeu proposait d’autres options ? Cela permettrait non seulement de promouvoir d’autres rapports humains (du niveau individuel jusqu’au niveau international) mais aussi d’enrichir considérablement les expériences de jeu. Car cela obligerait les concepteurs à ne pas reproduire les mêmes modèles de gameplay, et les joueurs à repenser leurs habitudes et à leur redonner du sens.
« GAMES HELP ME UNDERSTAND SERIAL KILLERS BETTER:
I WANT TO INTERACT WITH PEOPLE I MEET, BUT I DON’T HAVE THE TOOLS, SO I SHOOT THEM. » (Tim Schafer)
Il me semble que le jeu vidéo est à une période assez bâtarde où l’on mélange une notion de conflit assez abstraite, comme celle qui nourrit des jeux « premiers » comme les échecs ou la « balle au prisonnier », mais aussi des jeux vidéo à la PacMan, avec une notion de conflit beaucoup plus concrète, contextuelle, qui ambitionne de parler de la réalité d’un conflit humain – guerres, bagarres de rue, luttes mafieuses…
Pour le dire autrement, peut-on prétendre dire quelque chose de la guerre en Irak, de ses enjeux politiques, psychologiques, en se basant sur un système de jeu à peine plus évolué que le « pan t’es mort ! » d’un jeu d’enfant ?
Le jeu vidéo prétend d’un côté aborder des thèmes adultes, mais de l’autre persiste dans des systèmes logiques relativement infantiles et simplistes. Oui je caricature peut-être un peu, mais c’est pour la démonstration ; en pratique ce sont des questions qui sont très loin d’être simples, et la technique est souvent un frein à l’audace expérimentale.
Mais c’est justement un champ d’expérimentation passionnant pour les concepteurs de jeux : presque tout est à penser et créer. C’est ce que j’ai essayé de transmettre aux étudiants avec qui j’ai eu l’occasion de débattre. J’ai essayé d’aborder la question de la « dissonance ludo-narrative« , c’est à dire le moment où gameplay et scénario entrent en conflit. Le scénario nous raconte l’histoire morale d’un type, ancien truand, qui essaie de se racheter et de devenir quelqu’un de bien, tandis que le gameplay nous montre comme c’est fun de tuer des gens et de provoquer des accidents. C’est un problème si on ambitionne de créer un jeu qui ait quelque chose à dire sur l’expérience humaine (ce qui n’est pas une obligation pour tous les jeux bien entendu). Les cas de Grand Theft Auto IV, d’Uncharted et de Red Dead Redemption ont été évoqués.
J’ai aussi essayé de dire que la recherche de modèles de gameplay non-violents pouvait amener des idées nouvelles à explorer, au lieu de produire des jeux sans fun, comme les étudiants semblaient le craindre. On a par exemple le cas du First Person Shooter, qui à partir d’un modèle purement guerrier, a pu donner des choses complètement différentes et passionnantes, comme Portal (où l’arme crée des portails dimensionnels au lieu de tuer), ou comme Warco (dans lequel l’arme est remplacée par une caméra puisqu’on joue un reporter de guerre).
Enfin j’ai essayé d’aborder le thème du choix laissé au joueur et de sa responsabilisation. Un certain nombre de jeux ont tenté de proposer différentes options au joueur, avec des dénouements différents et un impact différent sur le monde en fonction des actions choisies : tuer ou ne pas tuer dans Deus Ex, libérer ou utiliser les Little Sisters dans Bioshock… L’usage de la violence n’est pas imposé par le gameplay : le joueur doit s’impliquer et choisir en connaissance de cause, et faire face aux conséquences. La Croix Rouge demandait par exemple s’il ne serait pas bon que les jeux de guerre soient plus réalistes et prennent en compte ce qui est considéré comme « crime de guerre », en prévoyant les conséquences adaptées pour les joueurs qui violent les lois humanitaires internationales. Et à l’opposé des jeux qui mettent le joueur en situation d’assumer ses actes, on a bien sûr le jeu de propagande, comme America’s Army, qui au contraire choisit pour le joueur ce qui est « bien », « juste » et où se trouve le camp des gentils. Ici pas de responsabilisation du joueur, pas de questionnement de la violence. Le but avoué des commanditaires du jeu est de favoriser le recrutement de vrais soldats, et de faire du jeu un outil d’apprentissage de la violence professionnelle.
Cela pose de nombreuses questions de design aux concepteurs : quelle éthique adopter en fonction du projet ? Faut-il favoriser l’option non-violente parce qu’elle est plus morale ? Faut-il la rendre au contraire plus difficile parce que dans la réalité c’est effectivement un choix plus difficile (l’exemple de Bioshock n’était pas tout à fait convaincant à ce sujet par exemple, puisque l’option altruiste était en même temps l’option la plus « rentable ») ? Faut-il mettre toutes les options à égalité ? Comment créer un gameplay qui soit « fun » et « défouloir » tout en permettant d’être cohérent avec son personnage et son scénario ? Comment créer des personnages crédibles et profonds ?
Ce sont des pistes qui, je l’espère, devraient permettre de concevoir des jeux avec une attitude un peu différente. En tout cas, le débat avec les étudiants se poursuivra lors de prochaines journées, avec si tout va bien la création de concepts de jeux résultant de cette réflexion. Je suivrai avec intérêt ce qu’il en ressortira.
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