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L’I.A., la ménagère et la transsexuelle

Billet initialement publié sur Merlanfrit.net

C’est la première fois qu’un jeu vidéo me traite de connasse féministe. Et le pire c’est que j’ai aimé ça.

(Attention spoilers sur Portal 2)

Dys4ia, créé par Auntie Pixelante alias Anna Anthropy, est un petit jeu web (jouable ici) autobiographique dans lequel elle raconte son vécu de personne transgenre, et la galère que constitue sa thérapie de remplacement hormonal. Elle fait vivre au joueur son mal-être : le fait d’avoir un corps qui ne correspond pas au sexe qu’elle perçoit, le fait que personne n’accepte de voir la femme qu’elle pense être… Et surtout pas ces connasses de féministes.

Le jeu est une succession de tableaux plus ou moins interactifs, qui utilisent toutes sortes de gameplays archétypaux, mais de manière métaphorique, presque allégorique, avec beaucoup de subtilité. Un genre de Tetris dont la brique tarabiscotée ne peut se faufiler nulle part symbolise la bizarrerie d’un corps ni tout à fait masculin ni tout à fait féminin. Un mini-jeu d’infiltration illustre le malaise qu’Anna ressent chaque fois qu’elle va dans les toilettes des femmes tout en étant perçue comme un homme et donc un intrus. Jeux de shoot, de casse-brique, Pong-like, tous ces mécanismes bien connus prennent un sens nouveau, deviennent intimes. Si le jeu peut être défini comme la résolution volontaire de problèmes facultatifs (selon Bernard Suits, et Jesse Schell après lui), alors on ne nous demande plus ici de battre la machine à un jeu d’arcade, mais de nous débattre avec le regard que nous portons sur nous-mêmes, et avec le regard de la société : nous sommes confrontés de manière précise, concrète et intelligente aux problèmes quotidiens d’une personne transgenre.

La traduction en gameplay de ce quotidien en souligne la difficulté, les antagonismes, le caractère combatif, les possibilités d’échec, les petites victoires. Et tout ceci avec une économie de moyens ahurissante, parfaite illustration des thèses d’Anna Anthropy (qui font l’objet de son livre tout juste paru) qui pense que chacun, chaque citoyen, chaque individu, peut devenir concepteur de jeux, et que chacun peut avoir quelque chose à exprimer par le biais du jeu vidéo, quelles que soient ses compétences en la matière. Le jeu vidéo comme nouveau journal intime, comme nouveau tract contestataire.

Et donc, l’un des problèmes du personnage de Dys4ia, ce sont ces connasses de féministes qui refusent de la considérer comme une femme. Là forcément, je prends l’insulte pour moi, et l’immersion en prend un coup.

En tant que femme, j’ai l’habitude que le jeu auquel je joue brise mon identification avec le personnage. Je n’ai aucun problème pour incarner un héros bien viril, jusqu’au moment où celui-ci sort un « c’est pas un flingue de fillette ! » ou autres « Tu vas pas chialer comme une gonzesse ! ». Ça arrive plus souvent qu’on ne pourrait croire et ça me rappelle constamment quel regard la société en général porte sur les femmes. C’est la même chose à l’extérieur du jeu : le site web « Fat, Ugly or Slutty » collectionne les preuves d’agressions verbales envers les joueuses, subies lors de parties en ligne. Si tu es une femme et que tu joues, ça signifie soit que tu es grosse et moche, soit que tu es une pute, et dans tous les cas, cela autorise le pire des mépris.

En tant que femme, on est soumise à une exigence sociale de beauté, de minceur, de sexiness (A ce sujet, lire l’excellent Beauté Fatale de Mona Chollet, qui déconstruit efficacement le discours dominant sur la féminité. L’ouvrage est consultable en ligne chez son éditeur, Zones.)… Exigence relayée par la presse dite féminine, et également bien palpable dans le character design des personnages de jeux vidéo, qui compte plus de Kelly-Kelly que de Vickie Guerrero. Certes il peut être agréable de se rêver cinq minutes en poupée Barbie, mais qu’est-ce qui explique que je choisisse plutôt l’option Vickie Guerrero dès que j’en ai la liberté ? Qu’est-ce qui explique l’envie de jouer naine ou gnome dans World of Warcraft ? Qu’est-ce qui explique que mon avatar dans Saints Row The Third soit une femme aux rides apparentes, un peu enrobée, qui ne quitte pas ses bigoudis de tout le scénario, et sorte parfois en pantoufles et peignoir dans la rue ? L’envie de souffler un peu, de prendre des vacances par rapport aux contraintes habituelles ?

Je pense que c’est bien plus que ça, c’est plutôt une volonté d’affirmer, d’assumer ce qui est habituellement méprisé : je joue une femme moche, grosse, vieille et mal nippée, et j’emmerde la société à coup de minigun. Je reprends à mon compte les clichés de la misogynie traditionnelle, et je mets une ménagère en bigoudis à la tête d’un gang. Sans que le jeu ait été pensé pour ça, Saints Row The Third m’a offert le plus intéressant personnage féminin depuis bien longtemps : une femme presque vraie, presque libre, fat, ugly and slutty et qui s’en fout (A noter qu’Anna Anthropy avait justement écrit un article sur Saints Row 2 et le fait que le jeu permette tous les entre-deux entre masculin et féminin, tant au niveau physique qu’au niveau des vêtements, etc.).

Un autre jeu toutefois nous a récemment proposé un fantastique personnage basé sur cette caricature féminine : Portal 2, dans la lignée de Portal, avec le personnage de GLaDOS. L’un des ressorts comiques est le fait qu’un robot, une intelligence artificielle futuriste aussi sophistiquée utilise des moqueries tout à fait humaines pour humilier l’héroïne. GLaDOS moque Chell à propos de son poids et se demande si elle va réussir à continuer à sauter en ayant autant grossi. Elle lui fait savoir que la couleur de sa combinaison ne lui va pas du tout. Elle lui assène des piques à propos de ses parents qui l’auraient abandonné à sa naissance parce qu’ils ne l’aimaient pas. Autant de commérages de secrétaires et de persiflages de pipelettes tels qu’on en entendrait près de la machine à café. Un portrait de la mesquinerie féminine tel qu’en font les pires misogynes. Ou bien une image de la femme enfermée dans son moule social et qui se fait volontairement le chien de garde de l’idée d’un féminin beau, élégant, mince et sexy.

Tout bascule alors lorsqu’on nous révèle finalement que GLaDOS est réellement une secrétaire mesquine et dévouée, dont l’esprit a été enfermé dans une machine, pour servir de base à l’intelligence artificielle. Elle l’avait oublié elle-même. Enfermée depuis des décennies dans un corps de métal sur rail, dans un laboratoire déserté, son esprit tourne en rond, ressassant en boucle de méchants sarcasmes : c’est une illusion de pouvoir qui compense son irrémédiable emprisonnement, et lui permet d’oublier que c’est son dévouement à son ancien patron qui l’a conduite à cet état de fait. La caricature du féminin qui imprègne tous ses dialogues, et qui constitue, finalement, la dernière part d’humanité de GLaDOS, se révèle être une métaphore de l’aliénation féminine. Secrétaire soumise et prête à tout pour son patron, elle était restée la femme invisible, celle qui est toujours disponible pour du travail supplémentaire, celle qui est « mariée à la science » selon le mot du boss. Celle qui était sans doute la maîtresse et espérait plus. Celle qui en définitive restera pour toujours dans ce laboratoire et fera « partie des meubles », littéralement.

Dans Dys4ia, de façon amusante, on retrouve ces mêmes sujets de préoccupation « si féminins ». Anna parle des vêtements pour femmes qui ne lui vont pas, sont trop petits pour son corps qui n’a pas fini de changer. Elle évoque la difficulté à se débarrasser de sa moustache et des poils sur son torse. Elle évoque la taille de sa poitrine qui se développe. Elle parle de son désir d’être belle et de pouvoir se regarder sans honte dans les miroirs. Et elle balance des piques sur ces connasses de féministes qui ne comprennent rien.

Est-ce cela être une femme ? La connasse de féministe en moi a envie de dire non, que justement elle, elle se bat pour qu’on laisse ses poils et son poids tranquilles, et qu’on ne la juge pas à la taille de sa poitrine. Qu’être une femme ce n’est pas qu’une question d’apparence. Mais le fait que ce discours provienne d’une femme transgenre introduit le même décalage qu’avec GLaDOS l’I.A. ou ma ménagère chef de gang. Cela montre que le féminin est une construction sociale : « on ne naît pas femme, on le devient ». Dys4ia raconte toutes les étapes de cette construction, cette lutte avec son propre corps et avec le regard des autres pour devenir une « vraie » femme. Et là je ne peux que constater la similitude d’expérience : se dire qu’on n’est « pas assez féminine » pour être appréciée, c’est une chose que bien des adolescentes connaissent, que bien des femmes connaissent toujours. Et c’est avec beaucoup de justesse et d’émotion qu’Anna Anthropy en fait le récit.

Dys4ia m’a beaucoup touchée et m’a donné à réfléchir, à me remettre en question. C’est apparemment le cas pour beaucoup de joueurs qui, à en juger par les commentaires, ne comprennent pas qu’on puisse à la fois vouloir devenir une femme et avoir une petite amie, ou qui croient qu’Anna est une femme qui veut devenir un homme. D’autres ont sauté sur l’occasion pour lui dire à quel point ils la trouvaient grosse et moche. It’s a man’s world.

Dans l’épaisseur du papier

C’est incroyable l’illusion de profondeur que l’on obtient avec juste deux frames… (et j’adore les dessins au bic !).

Certains des monstres de la série de dessins par Dain Fagerholm, visible ici me rappellent les bizarres créatures de Tove Jansson dans les livres Moumine. J’adore.

Jamais trop tard pour apprendre

Cette année, mes bonnes résolutions, c’était du costaud. J’ai décidé de passer le TOEIC, une VAE Game Design à l’Enjmin, et d’apprendre le JavaScript.
On est début mars, et même si j’en bave, pour l’instant je tiens bon.

Tout d’abord le JavaScript. J’ai entendu il y a quelque temps à la radio quelqu’un (malheureusement je ne me souviens plus de qui c’était) dire que le code, le langage de programmation, était la nouvelle langue ou la nouvelle écriture universelle. Que les générations futures seraient toutes capables d’écrire leur propre code, pour leur usage quotidien, ou au minimum de comprendre ce qui se passe quand ils utilisent leurs ordinateurs ou smartphones (et programmer des jeux vidéo comme simple hobby deviendra de plus en plus courant, comme je l’évoquais ici). Et que ceux qui n’en seraient pas capables seraient laissés sur le bord du chemin, comme autrefois ceux qui ne savaient pas lire. On assiste déjà à cette rupture générationnelle pour ceux qui n’ont pas réussi à se mettre à internet et à l’informatique, et cela va continuer de se creuser.

Dans mon métier de game designer, je dois sans arrêt scripter des événements, ou communiquer avec des développeurs. Je sais que je serais une meilleure designer si je savais programmer. Bien sûr j’ai quelques vagues notions et je sais me débrouiller avec des outils comme Multimedia Fusion par exemple. Mais la découverte du site Codecademy a été le déclencheur : un site qui propose gratuitement d’apprendre le JavaScript, via des leçons hebdomadaires et une foule d’exercices pratiques. C’est convivial, on peut poser des questions sur les forums, et on gagne des « badges » pour chaque accomplissement, dans un esprit très « gamification« . Et ça marche ! Se motiver à atteindre 50, 100 exercices, à finir un problème plus difficile, à coder un premier petit jeu minimaliste, bref se fixer des objectifs intermédiaires, c’est déjà quelque chose que l’on fait dans sa tête. Concrétiser ça par des « médailles », c’est vraiment une bonne idée. D’ailleurs hop, c’est l’occasion de frimer un peu. Même si je suis très en retard sur le programme, mais je continue ! Je sais bien que je ne deviendrai pas une vraie programmeuse, mais cela m’aide vraiment à comprendre le fonctionnement de beaucoup de choses.

Deuxième résolution, passer le TOEIC et améliorer mon anglais oral. Même si je lis quotidiennement des tonnes d’articles en anglais, même si je regarde tous mes films et séries en VO et sous-titres anglais, même s’il m’arrive de rédiger des documents de design en anglais… Je n’ai quasiment jamais l’occasion de parler anglais, et je pense que je suis très rouillée à ce niveau-là. Et comme je RÊVE de partir m’installer au Canada, c’est une nécessité de pouvoir justifier d’un niveau suffisant. Je me suis donc inscrite à un programme intensif chez Wall Street Institute (pourtant j’avais toujours trouvé leurs pubs ridicules dans le métro). Eh bien en fait c’est super agréable et rigolo de suivre leurs cours !

Les leçons sont basées sur une sorte de roman-photo relativement over the top, où il est question de terrorisme, d’échangisme sur une île grecque, de lesbiennes végétariennes, de techniques de management chinoises et d’assassinat de professeurs à Oxford. Ce sont des leçons « multimédia » façon labo de langue, où il faut écouter, lire, répondre à des questions mais aussi s’enregistrer pour bien prononcer. Et comme c’est moderne, on peut faire ça depuis chez soi. Il y a aussi bien sûr des leçons « live » avec des profs anglophones venus aussi bien d’Angleterre que d’Australie ou d’Afrique du Sud. Très sympa !

Et dernière résolution, la VAE (validation des acquis de l’expérience) en Game Design. C’est un métier que j’ai appris sur le tas, mais même si je pense qu’un diplôme ne vaut pas des années d’expérience, on voit de plus en plus souvent des offres d’emploi qui demandent un diplôme d’une école de game design, l’ENJMIN étant le plus souvent explicitement citée en référence. Moi, avec mon joli DEA de littérature, c’est clair que je passe pour la littéraire de service, le genre qui fait de jolies phrases mais qui crie au secours si on lui demande d’utiliser des outils un peu techniques… Les clichés ont la vie dure ! Alors tant qu’à faire, si je peux réussir à démontrer au jury que mon expérience tant en pur GD qu’en management, ergonomie, création visuelle et sonore et programmation, vaut les deux ans passés dans cette école… Ça vaut le coup d’essayer.

Je ne sais pas si toutes ces bonnes résolutions me seront réellement utiles, en tout cas concrètement. Mais il n’est jamais trop tard pour apprendre et essayer de s’améliorer. Ça fait du bien à la tête et c’est déjà pas si mal. (J’avais aussi la bonne résolution de ne plus m’engueuler avec des gens, mais ça c’est trop difficile à tenir).

 

Quand je serai grande, je serai cosmonaute

Je viens de découvrir une série de magnifiques photos représentant des aires de jeu russes, dont les « cages à écureuils » et toboggans sont des fusées.
Des fusées colorées, usées et rouillées, pointant vers les étoiles : elles datent de l’époque soviétique, la grande époque du programme spatial russe.

Beaucoup de nostalgie et de mélancolie dans ces vieux symboles enfantins de gloire et d’aventure laissés à l’abandon.

A découvrir sur le site de l’auteur