Voici quelques extraits de ce que j’ai pu écrire ici ou là comme fiction. J’ai été amenée à écrire des dialogues, scénarios, textes de background divers, épisodes de feuilleton, dans le cadre de mon travail. Mais les textes qui suivent ont été écrits dans un contexte privé, et ne sont liés qu’à mon univers personnel.
Une Fin du monde
Je vais te laisser ce message parmi tous les autres, sur le grand tableau du Hall d’embarquement, petits papiers bleus et blancs qui tremblent dans le courant d’air, sous le regard implorant des voyageurs en partance, le regard indifférent du Personnel Navigant Coopérant. Ceux-là savent sans doute que jamais personne ne lira ni ne répondra, mais qu’il faut faire semblant pour rassurer les populations déplacées. Je croise leur regard toujours aussi vide, ils savent sûrement que je sais, mais ils s’en moquent, rien ne peut plus arriver, le sort est jeté. Tout semble si parfait… Ces hôtes et hôtesses en uniforme bleu ciel, petit calot sur une mise en plis impeccable… on se croirait dans une publicité des années 1950. Impassibles derrière leur immense comptoir streamlined blanc et chrome. De temps à autre ils annoncent l’horaire de l’une des navettes, et la foule se presse vers les grands porches de départ.
Ils n’ont même pas pris la peine de distribuer des numéros, des tickets… Les gens se bousculent, ils veulent partir, ils y croient, ils font la queue depuis le matin avec leurs valises. Même pas besoin de les forcer. Moi j’attendrai le dernier moment, j’attendrai jusqu’au soir, inutile de prendre ces navettes. Je sais qu’il n’y aura sans doute pas de « ce soir ». D’ici là il n’y aura sans doute plus rien du tout. La fin est pour aujourd’hui. En attendant ils font en sorte d’occuper la foule, et que tout reste calme.
Ce matin je me suis promenée sur le port. Tout était si… fixe. Pas de vent dans les palmiers, personne sur les terrasses. Seule l’eau clapotait un peu, et renvoyait des reflets resplendissants sur les coques blanches déjà aveuglantes sous le soleil. Le soleil était fixe lui aussi. Neuf heures et il était déjà au zénith. Personne n’a remarqué qu’il n’avait toujours pas bougé depuis ? Aucun nuage dans le ciel d’un bleu uniforme et profond. Aucun oiseau ne passe, aucun insecte. Comme s’ils avaient commencé par exterminer les nuages et les bêtes, curieuse idée. L’air était léger, le calme parfait, une journée magnifique et pourtant j’avais la sensation d’être sous une cloche de verre.
————————————————————————————————————————
Téléportation
Abel changea de trottoir et se dirigea vers la cabine de téléportation publique. Il prit place sur la plaque luminescente, prenant soin que ses pieds se positionnent parfaitement sur les traces blanches. Il tira de son portefeuille sa télécarte et la fit glisser dans la fente. Sur l’écran ses données personnelles s’affichèrent, carnet de santé, compte en banque, et il pointa du doigt sa destination sur le planisphère, plusieurs fois jusqu’à sélectionner une cabine d’arrivée précise.
Le plafonnier émit son vrombissement caractéristique et les parois vitrées de la cabine virèrent au bleu outremer, plongeant le reste de la ville dans une nuit lointaine et aquatique.
Abel soupira et se détendit, seul. Plusieurs fois il s’était demandé s’il ne choisissait pas ce mode de transport uniquement pour le délicieux vertige qu’il procurait. Il savait bien que l’abus en était déconseillé, et que la téléportation n’était pas sans risques. Mais il détestait la promiscuité des spatiobus, et finissait toujours par craquer pour la téléportation, malgré les risques, malgré le prix exorbitant, malgré les sarcasmes de ses collègues qui le traitaient de snob.
La lumière du plafonnier se fit plus douce et le vrombissement plus léger, et les parois de la cabine se colorèrent en un mauve floral. C’était parti.
Abel ferma les yeux. Il avait l’impression de sentir la machine scanner chaque atome de son corps, délicatement, minutieusement, patiemment. Le silence était total, et Abel sentait un gazouillis dans ses veines, un frémissement dans ses muscles, une ondulation dans ses cheveux, comme si chaque parcelle de son corps s’étirait telle un chat au soleil. La caresse de la machine l’enveloppait de ses rayons invisibles, et Abel souriait. Il sentait qu’il devenait transparent, le transfert avait commencé. Dans une cabine lointaine, dans les rues rouges et poussiéreuses du désert de Moabville, son corps commençait à exister aussi. C’était tellement étrange de se sentir un peu dans les deux endroits à la fois, d’apercevoir à la fois les gratte-ciels de Newport et les trottoirs cassés de Moabville.
————————————————————————————————————————
Le Harem aux éphémères
Il n’y a pas si longtemps, dans un pays non loin d’ici, il y avait un paisible royaume dont le roi était riche et puissant. Il habitait un beau palais aux murs d’argent blanc incrustés de pierres de lapis, bleues comme des yeux. Dans ses jardins s’épanouissaient le jasmin étoilé et la santoline pailletée, dont les massifs resplendissaient sous le soleil brûlant. Ce roi possédait une armée de forts guerriers solidement armés, il avait à sa cour les artistes les plus recherchés… Mais il était surtout admiré pour son harem, qui était, disait-on, le plus grand, le plus raffiné, et le mieux gardé du monde. Les voyageurs racontaient que, la nuit, depuis une certaine colline proche du palais, on pouvait apercevoir par une fenêtre du harem quelques-unes des sept milles femmes qui y étaient enfermées loin des regards. Mais les voyageurs racontaient aussi que, lorsque le soleil apparaissait à l’orient, derrière le palais, et que sa lumière rasait les collines fraîches jusqu’aux fenêtres du harem, alors les fines silhouettes qui se promenaient sur les balcons n’arrêtaient pas les rayons, ils passaient à travers elles en les illuminant d’un éclat d’ivoire… Cette vision ne durait que quelques instants car dès que le soleil était levé, les gardes faisaient claquer leur fouet, poussaient les pâles silhouettes à l’intérieur, et laissaient retomber les voiles devant les fenêtres. Les voyageurs se demandaient alors s’ils n’avaient pas été victimes d’un mirage.
Nombreux étaient les princes qui avaient offert au roi les trésors les plus rares en échange de l’une de ses étranges compagnes, mais le roi répondait toujours : “Ah… Mes petites femmes, mes beautés évanescentes, mes éphémères ! Mais la moindre d’entre elles me coûte plus cher que tous vos trésors ! Si vous saviez les soins compliqués qu’elles demandent… Et puis vous feriez une mauvaise affaire : leur vie est si courte ! Mais si vous tenez à en voir une, venez donc aux festivités qui célébreront la seizième année de mon fils, car la coutume veut qu’il choisisse à cette occasion l’une des créatures de mon harem pour passer sa première nuit d’homme.”
————————————————————————————————————————
Les Octoplantes (AAR Space Empires IV)
La civilisation Octoplante est issue du cataclysme qui eut lieu jadis sur la planète Jadria. Cette planète très semblable à l’antique planète Terre abritait une des plus anciennes colonies humaines, ainsi que toutes sortes d’espèces animales et végétales que les Terriens y avaient transportées. Une catastrophe géologique fit éclater la planète, la transformant en gigantesque boule de gaz dans laquelle tournoyaient des débris de roche. Contre toute attente, une unique espèce vivante survécut. Il s’agissait de plantes cultivées jusqu’ici en laboratoire, issues de croisements entre varech, lianes et plantes carnivores. Ces plantes étaient étudiées pour leur faculté à mouvoir leurs branches tentaculaires et à s’en servir pour attraper des objets. Des expériences étaient menées pour utiliser leur extrême sensibilité à la lumière afin de guider leurs mouvements par d’ingénieux systèmes de miroirs et de loupes solaires. Le but était de se servir de ces plantes géantes pour effectuer des travaux de construction, réparation, dans des milieux très hostiles à l’être humain ou difficile d’accès (pics magnétiques, mers acides, crevasses volcaniques…).
On ne sait si la mutation de ces plantes en êtres pensants avait commencé en laboratoire, ou si elle est le fruit du cataclysme qui transforma radicalement les conditions de vie de la planète. Les Octoplantes, tel qu’elles se sont baptisées elles-mêmes sont en tout cas devenues des êtres capables de communiquer et d’organiser leur propre survie.
Les Octoplantes ont gardé leur aspect et leur métabolisme végétal : pour vivre, elles n’ont besoin que de lumière et d’oxygène, qu’elles savent respirer aussi bien sous l’eau que dans l’atmosphère. Leurs membres ont la souplesse d’une liane, mais leur peau aussi épaisse que de l’écorce leur permet de résister à des températures très élevées ainsi qu’à de fort taux d’acidité. Les Octoplantes sont asexuées et se reproduisent par rejet. Leur durée de vie semble particulièrement longue.
La société Octoplante est assez fruste. Leur langage est minimaliste, les individus ne semblent pas réellement doués d’émotions, du moins si l’on en croit leur regard inexpressif. Les Octoplantes ont mis toute leur énergie depuis des générations à reproduire les technologies humaines, sans toutefois jamais égaler le génie de cette civilisation disparue. Il semble que cela soit devenu un but en soi, les Octoplantes n’ayant jamais manifesté aucun intérêt pour les autres peuples. On dit qu’elles conservent d’ailleurs des restes de leur vie en laboratoire comme des reliques sacrées.
Leur difficulté à communiquer avec des étrangers rend de toute façon le commerce difficile avec les autres civilisations, bien que les Octoplantes aient toujours bien accueilli leurs ambassadeurs.
Le Grand Lige est le chef de la société octoplante, il est le plus ancien individu, et également celui qui a le plus de rejetons.