Marseille a dû être une jolie ville, mais je me demande à quelle époque. J’habite près du vieux port, dans une large rue d’immeubles « haussmanniens » élégants. Mais les façades sont couvertes d’une épaisse couche de crasse, et pire, de nombreux appartements sont manifestement vides et à l’abandon depuis des années. Persiennes branlantes, fenêtres à moitié barricadées ou cassées, portes cadenassées couvertes de rouille… Le contraste avec les nombreux balconnets, cariatides, bas-reliefs et décorations diverses est assez frappant. Ça a dû être un quartier chic, il y a bien longtemps.
L’un des endroits que je préfère dans ma rue, c’est la devanture d’un salon de coiffure ancien. Il a dû être assez attrayant autrefois. La porte est assez monumentale. Son store en corbeille, fait d’un tissu fleuri, est tout déchiré, et son galon à pompons pendouille tristement. Son enseigne surtout est magnifique, avec ce profil façon camée, ces deux prénoms, Claude et Josette, et sa référence à ce qui a sans doute été un cosmétique en vogue, « Paro Star ». A moins que cette devanture ait été déjà rétro en son temps, je lui donne bien cinquante ans d’âge. Elle semble avoir une histoire à raconter.
Je pense au salon de barbier de Chaplin dans Le Dictateur, abandonné entre les deux guerres mondiales : son propriétaire amnésique finissait par y reprendre ses habitudes, sans remarquer l’amoncellement de poussière et de toiles d’araignée. Je pense aussi à Cendrillon et à la transformation de minuit, ou à toutes les histoires de villes hantées qui s’animent la nuit et meurent au petit matin. Il se trouve que je passe chaque matin devant cette boutique à l’heure précise où l’ombre se retire : le soleil a l’air de révéler sa misère présente, et de faire entrevoir l’espace d’un instant le charme désuet qu’elle avait autrefois, et qu’elle avait peut-être le temps de la nuit.
Si je savais m’y prendre, j’irais sûrement tenter de pénétrer en douce dans ce salon pour voir ce qui s’y cache…
Tout cela résonne assez bien avec la partie de Red Dead Redemption que j’ai commencée il y a quelques semaines maintenant. Des maisons désertes, des villages fantômes, on en rencontre à foison. Des histoires d’illusions morbides aussi, comme les éternelles rengaines de la mariée qui attend son promis depuis vingt ans, ou de l’homme qui parle au cadavre desséché de sa femme. Pas très original ni très subtil : j’attendais mieux de ce jeu, et suis pour l’instant assez déçue.
Mais après Alan Wake, beaucoup de narrations vont me sembler faibles, c’est évident. J’aimerais revenir très bientôt sur le cas de Heavy Rain, qui mérite le détour, maintenant que je suis moins fraichement énervée par tous ses défauts. En attendant je recommande la lecture de la série d’analyses de Nicolas Jaujou sur son blog : on y trouve une image d’Ethan nu mais surtout des réflexions très intéressantes sur le gameplay, l’ergonomie et la narration dans Heavy Rain.
La ville fantôme: c’est une bonne expression de la narration comme archéologie ;-)
C’est vrai que depuis Bioshock et Fallout on sent que cette possibilité de narration est (très) bien maîtrisée et peut-être qu’elle commence à devenir un poil trop prévisible. Je n’ai pas encore eu l’occasion de jouer à RDR…Pour l’instant c’est ma XBOX360 qui joue à ROD…argh…
Merci pour le lien. J’espère te faire revenir en essayant aussi de donner mon impression mitigée sur Bioshock.
J’ai lu récemment un article sur gamasutra qui fait écho à quelques unes de mes impressions, je vais essayer de les synthétiser…
http://www.gamasutra.com/view/feature/5952/the_deaths_of_game_narrative.php
Au plaisir de te lire
NJ
Bah, après Lille qui a été bombardée et jamais reconstruite, ça te change pas trop du coup.
/Kern
Joli photo et chronique marseillaise…
Sinon j’ai essayé Heavy Rain chez un ami équipé d’une PS3 et je n’ai tenu que 30 secondes avant d’être agacé par le gameplay. Ce que sait d’avoir trois mains gauches. ;)
Bienvenue a Marseille!
J’habite dans cette ville depuis plus de seize années, et crois moi je n’en connais pas la moitié. Enfin oui je connais la partie émergée de l’iceberg, mais il y a tant de choses spéciales dans cette ville, tant d’histoire, tant de vie, tant de contrastes!
C’est une ville unique, à l’atmosphère hors du commun, je t’y souhaite une bonne vie … Une vie Spéciale, dans une ville spéciale!
@Nicolas : arg c’est moche ça :/
Merci pour le lien, c’est intéressant et ça rejoint aussi mon ressenti. C’est quelque chose qui m’avait gênée dans Bioshock et dans Uncharted. En tout cas la question de l’équilibre entre narration et gameplay me semble être en effet quelque chose qui est rarement résolu. C’est au coeur de mon travail sur Brooklyn Stories, et j’espère qu’on réussira à apporter quelque chose d’intéressant, dans la mesure où on fait du « design narratif », qui mêle scénario et gameplay, chacun reposant sur l’autre. Les possibilités sont plus nombreuses avec un système de jeu original, moins figé que le FPS (voir les propos de David Cage : http://www.next-gen.biz/news/david-cage-egocentrism-means-creative-freedom ). A suivre :)
@Kern : Lille c’était quand même civilisé en fait. L’autre jour au bureau de poste, le type devant moi se plaignait qu’à l’adresse qu’on lui avait donné sur le bon pour retirer son colis, le bâtiment était abandonné et la porte murée… ^^
@Efelle : Et encore, on devrait bientôt avoir la version PS Move, où tu dois imiter les vrais gestes devant ton écran :D Plus intuitif ou moins compréhensible ? A voir…
@Nab’Hill : merci ! T’inquiète, j’aime bien les villes-fantômes, ça a son charme. On m’a dit que c’était tout de même une ville qui perdait des habitants, étonnant pour une ville de cette taille. Elle a indéniablement une personnalité, mais c’est de loin la moins « confortable » où j’ai eu l’occasion de vivre.
Ce David Cage est vraiment un personnage intéressant, qui sait se rendre énervant mais, et pour ça je le trouve sympathique, n’arrête pas de provoquer la communauté des devs. Le rôle d’empêcheur de penser en rond qu’il s’est donné est plutôt sympa, en tout cas je préfère ça au profil gamer oecunémique que l’on trouve un peu trop souvent dans la communauté anglo saxonne.
Le branding d’une personne ou d’une équipe, plutôt que celui d’un titre, je trouve ça plutôt bon pour l’industrie. D’aileurs pour les petites équipes indépendantes je pense que c’est essentiel.
Sinon l’articulation narration-gameplay de Uncharted 2 me pose pas autant de problèmes que celle de Bioshock (mais peut-être que c’est lié aux commentaires que je trouve partout sur Bioshock et aux faibles attentes qu’on peut avoir sur Uncharted.)
Tout de même, dans ce dernier il y a des effets discrets mais intéressants pour arriver à lier le flox du jeu et celui de la narration. Par exemple la répétition de la scène inaugurale (dans le train) me semble être super bien sentie. ça m’a fait penser au film Michael Clayton (de Tony Gilroy avec G. Clooney), où là aussi la scène inaugurale est répétée et remise dans son contexte chronologique et prend du coup une intensité incroyable.
Dans Uncharted je trouve que le fait de jouer une deuxième fois cette scène accentue le coté « lessivé » que le héros peut avoir à ce moment là et lorsqu’il prend le poignard on comprend qu’il a un rapport de plus en plus ambigue avec sa quête…Je surestime peut-être Uncharted 2 ;-) mais il y a d’autres détails qui le rendent vraiment très fluide au niveau narratif ce qui colle plutôt bien avec son gameplay…
@+
En fait ce qui m’a gênée dans Uncharted c’est le côté tuerie dont parle l’article. Nathan Drake est censé être quoi, un aventurier, un peu archéologue sur les bords, il parle quand même une série de langues mortes, etc. L’imitation d’Indiana Jones est flagrante, évidemment. Toujours est-il qu’il est assez rapidement amené à mitrailler des gens par paquets de douze, sans que ça soit spécialement bien justifié par le scénario. Il n’est pourtant pas censé être un tueur. Du coup on nous sort des antagonistes nazis ou assimilés, plus ou moins morts pour que ça soit crédible… Mais ça ne l’est pas. Indiana Jones avait au moins l’excuse de l’époque. On a même droit dans le 2 à un passage où on utilise une arme non létale, pour montrer que le héros a des scrupules. Mais ça s’évanouit bien vite.
Dans Tomb Raider ça m’avait moins choquée, on se faisait attaquer en grande partie par des animaux sauvages ou surnaturels : le côté immoral et surtout incohérent m’avait moins sauté aux yeux. Les ennemis étaient également beaucoup moins nombreux, techno de l’époque oblige.
Bref même si le gameplay d’Uncharted est réellement fun, il y a toujours un moment où cet amoncellement de cadavres sur mes pas me met franchement mal à l’aise, et me sort un peu du scénario.
Dans Bioshock, c’est un peu pareil, mais on jouait un rescapé dans un monde en pleine auto-destruction, j’avais fini par accepter l’idée que c’était eux ou moi (par contre je suis d’accord que le choix lié aux little sisters était mal géré). Mais je me souviens que j’avais épargné certains splicers : par exemple un couple que l’on surprenait en train de valser dans un salon en ruines, j’avais préféré les laisser à leur illusion d’harmonie civilisée. :)
Sinon j’ai aussi beaucoup aimé dans Uncharted 2 la reprise de la scène du wagon à un moment où le héros a envie de tout laisser tomber, surtout le fait que ça ne soit pas une exacte reprise : il y a du dialogue en plus, effectivement totalement écoeuré, la succession des actions n’est pas tout à fait la même… C’était une excellente idée.
Dans Bioshock ce qui m’a un peu gêné, c’est le décalage entre l’aspect ouvert du gameplay (gestion tactique des armes et des plasmides en fonction de l’environnement) et le caractère particulièrement guidé et fermé de l’attribution d’objectifs.
– La voix d’un PNJ te propose un objectif, celui-ci s’ajoute automatiquement à ta liste d’objectifs, on te propose une flèche qui te rappelle en permanence où tu dois aller. C’est une convention du FPS et du jeu vidéo…c’est le mantra du game designer « surtout que le joueur ne se pose pas de questions sur ses objectifs, il faut qu’il sache à tout momment où il doit aller et ce qu’il doit faire. »
SPOILER. Dans Bioshock, lors du premier twist, on intègre ce guidage dans l’histoire et on te met en face de ton incapacité à désobéir: tu es dirigé. J’ai eu le sentiment qu’on exploitait une faiblesse de design partagée avec pas mal de FPS, pour en faire un élément de la narration et j’ai trouvé que ça brouillait les lignes entre ce qui est du domaine des conventions de jeu et ce qui est domaine du monde du jeu.
En soit, c’est une super idée. Mais je pense que pour la mener à bien il aurait fallu mettre en place un système de mission un peu plus ouvert, sur le modèle de Far Cry 2.
A coté de ça, on te propose un choix avec les little sisters qui est mis-en-scène de façon forte mais qui n’a pas vraiment de sens pour le joueur (du moins comme je l’ai senti).
Enfin voilà, non pas que je n’aime pas Bioshock, mais j’ai le sentiment qu’on lui pardonne facilement sa linéarité et l’absence d’impact du joueur sur l’histoire ! ;-)
@+
Nico
Uncharted ne copie pas tant que ça Indiana Jones en réalité. On l’assimile à Indiana Jones parce que ce dernier comme Uncharted s’inspire énormément des serials et comme la plupart des gens ne connaissent pas les serials, ils ont tendance à prendre le raccourci « Uncharted = Indy ». En fait, les deux sont des hommages aux serials.
Le personnage de Nathan Drake est d’ailleurs beaucoup plus proche de Bob Morane ou de Dirk Pitt plus récemment ou au cinéma de Jack Colton (A La Poursuite Du Diamant Vert) qui semble être son véritable modèle que d’Indiana Jones, il n’a pas le côté érudit d’Indy et ce dernier avec son alternance prof/aventurier à un côté super héros. Et si on considère le matériel d’inspiration, je ne sais pas si tu as lu du Bob Morane par exemple (les romans d’Henri Vernes, pas les BD), tu remarqueras qu’il y a beaucoup de gunfight :)